DE CAPITALE EN CAPITALE

Fès, Marrakech, Meknès, Rabat, quatre villes capitales impériales pour un seul Royaume !

 

 

 

Qui dit mieux ?

Quel ne fut pas mon étonnement un jour d’assister à un échange verbal un peu vif entre deux Marocains, l’un originaire de Fès , l’autre de Marrakech, avec pour toile de fond l’histoire du pays !

Les meilleures ennemies

Le ton très amical au début, chacun donnant des nouvelles de sa ville, des affaires, du tourisme et du temps qu’il  faisait, changea pour devenir assez houleux dès que fut abordée une épineuse question qui fit tourner la mayonnaise :

Laquelle des deux villes avait été plus « capitale » du Royaume que l’autre ?

 

 

                                                                                     

 

 

Le Marrakchi soutenait que sa ville avait été capitale un plus grand nombre de fois et d’ailleurs le pays Maroc existait-il vraiment avant la fondation de la ville ocre ?

Le Fassi rétorqua que c’était faux et que Fès, de toute façon, l’avait été plus longtemps et qu’elle fut la première vraie capitale du royaume.

 

 

Chacun y alla de ses chiffres et de ses certitudes pour comptabiliser les années, les siècles, les mois, et nommer les dynasties régnantes qui avaient écrit les chapitres d’histoire et souvent chamboulé  les capitales.

Si l’ensemble était un peu confus, la passion que chaque interlocuteur mettait dans le débat me laissait sans voix.

Le Fassi, d’un ton rédhibitoire, asséna que Fès avait une telle supériorité culturelle, universitaire, religieuse, que l’on ne pouvait même pas imaginer discuter.

 

 

Le Marrakchi, vexé mais ironique, le renvoya dans les cordes du ring en rétorquant que son mépris et sa prétention n’avaient d’égal que sa jalousie vis à vis de l’histoire et du charme ensoleillé et irrésistible des gens de Marrakech !

 

 

Désarçonné, Monsieur de Fès esquissa un sourire et le duel se termina en accolade fraternelle !

L’affaire était bien intéressante et révélatrice.

Deux personnes cultivées s’écharpaient sur un point historique que je n’imaginais pas encore si sensible de nos jours.

Bien sûr, il y avait une part de chauvinisme, mais aussi la question d’une rivalité légendaire entre ces deux villes emblématiques du Royaume.

 

 

Mais le point de départ de la dispute avait bien été cette question de capitale !

Le débat n’était donc pas clos.

L’histoire compliquée

Tentons simplement de mettre un peu d’ordre dans le fil d’une histoire à rebondissements !

Ce sont les différentes dynasties successives qui ont fondé leurs capitales et les ont modelées afin d’asseoir leur prestige et leur puissance. C’est dans la pierre éternelle que sont gravées les traces de leur règne.

 

 

Les Idrissides, Almoravides, Almohades, Mérinides, Saadiens et Alaouites ont marqué de leurs sceaux Fès, Marrakech, Meknès et Rabat, de l’ouest Atlantique au sud saharien.

Les  villes devenues royales ou impériales s’agrandissent, se parent de monuments à l’architecture exceptionnelle et deviennent le centre de ce monde animé par le souverain.

 

 

Elle est l’expression de sa culture, de sa grandeur, de son raffinement et le lieu de ses mythes et légendes.

Les quatre villes impériales marocaines ont beaucoup de points communs si l’on considère le plan urbain et l’architecture.

Elles sont entourées de remparts, flanqués de tours et de portes que l’on peut fermer la nuit.

 

 

A l’intérieur de cette ceinture, un labyrinthe de ruelles, éclairci par quelques voies larges qui relient les différentes portes. L’activité est débordante et s’organise par quartiers.

La circulation est dense au milieu de ces artères jusqu’aux impasses plus retirées.

Une grande mosquée marque le centre, et les souks, outre leur vocation économique, sont un point de rencontre, de ralliement, un centre névralgique.

 

 

La citadelle du Prince, la kasbah, est extérieure ou avoisinante.

 

 

Fès est incontestablement la première capitale d’un royaume en pleine construction, aux contours encore incertains. La ville est fondée par Idriss I au VIIIe siècle puis établie par son fils Idriss II. A l’aube de la civilisation arabo-islamique, elle se développe vite autour de la mosquée universitaire “Quaraouiyine” et devient un centre spirituel et culturel de première importance.

 

 

En outre elle profite de son emplacement à la croisée de routes commerciales. Son peuplement s’accélère avec les familles expulsées de Cordoue ou de Kairouan.

 

 

Elle perd son statut de capitale avec la fondation du Maroc et de Marrakech par les Almoravides en 1072.

Elle le retrouve en 1250 avec les Mérinides.

 

 

Les XIVe et XVe siècles voient un Maroc agité, en proie aux troubles et au désordre et, avec le déclin de la dynastie Mérinide puis les occupations espagnoles, portugaises et anglaises, le pays se retrouve scindé en plusieurs territoires.

Au XVIe siècle (1511), les Saadiens reprennent la main, réunifient et choisissent Marrakech comme capitale (après Taroudant !) qui retrouve son éclat de la période Almohade (XIIe siècle).

 

 

A la fin du XVIIe siècle Meknès entre dans le ballet des capitales pour les 55 années du règne de Moulay Ismaïl (1672-1727).

 

 

 

Roi bâtisseur, il crée la ville à son image, un « Versailles marocain »  illustrant bien le précepte « à grand roi, grande cité ».

 

 

Les prisonniers esclavagisés et enfermés dans ses geôles seront mis à contribution pour la construction de la ville.

 

 

 

 

Puis Fès reprendra sa couronne jusqu’au début du Protectorat français en 1912 qui consacre Rabat comme capitale et qui l’est restée jusqu’à ce jour !

 

 

La ville, aux rives du fleuve Bouregreb, est naturellement le siège de toutes les ambassades du monde et  s’inscrit aujourd’hui avec toute sa modernité dans le paysage urbain du royaume. La Tour Mohamed, le nouveau théâtre en sont les récents  emblèmes.

 

 

 

Au gré des querelles, des scissions, des conquêtes et autres colonisations, d’autres villes comme Taroudant, Salé, Tétouan ou Tanger ont joué des rôles majeurs et pourraient figurer au palmarès mais ne compliquons pas l’affaire !

Entre Fès et Marrakech, décidons qu’il y a match nul !

Abondance de biens ne nuisant pas, un pays qui peut se targuer d’avoir déjà quatre villes capitales impériales, ce n’est pas si fréquent! Au pays du soleil couchant, l’astre n’est pas avare et continue de luire au dessus des capitales, sur les pierres et les dunes des aires désertiques!