Le premier Résident Général
Évoquer le Maréchal Lyautey ici, c’est revenir sur une page indélébile de l’histoire du Royaume à travers un personnage complexe, parfois déroutant, mais dont l’amour inconditionnel qu’il éprouvait pour ce pays n’a jamais faibli. Son empreinte est encore visible aujourd’hui. Après la signature, le 30 mars 1912, du Traité de Protectorat avec le Maroc, il est nommé, le 28 avril, Commissaire Résident Général de la République Française au Maroc, le premier à occuper ce poste jusqu’en 1925. Treize années qui marqueront sa vie, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel et intime.

Signature du Traité Maroc France 1912
L’accord prévoit dans son premier article que “Le Gouvernement de la République française et Sa Majesté le Sultan sont d’accord pour instituer au Maroc un nouveau régime comportant les réformes administratives, judiciaires, scolaires, économiques, financières et militaires que le Gouvernement français jugera utile d’introduire sur le territoire marocain. Ce régime sauvegardera la situation religieuse, le respect et le prestige traditionnel du Sultan, l’exercice de la religion musulmane et des institutions religieuses...”
En cela, il ne s’agit pas d’une annexion totale du pays sur le modèle algérien et la situation du Maroc est donc singulière. Et personne ne respectera autant que le Maréchal Lyautey l’âme d’un pays, sa culture, ses particularismes. “Rien n’est trop beau pour le Maroc “, l’a-t-on entendu dire.
Il restaure les fastes de la monarchie chérifienne, sait circonvenir en douceur l’islam marocain et gagne une paix durable pour le pays.

Lyautey et le Sultan Moulay Youssef
Un esprit paradoxal
Dire de Hubert Lyautey qu’il est une figure complexe est un euphémisme. Selon ses biographes, l’homme est pétri de ce qui pourrait sembler être des contradictions. Homme du passé, il s’inscrira résolument dans l’avenir en projetant une vision du futur pour le Royaume. Il contribuera évidemment à l’attrait grandissant pour le Pays du soleil couchant.
Catholique par éducation, conservateur, il se définit pourtant comme un libre-penseur. Il se heurtera au front colonialiste en France, au lobby catholique qui voudrait convertir les Berbères. Il déclare “ Nous avons le respect complet de votre foi, de vos mœurs, de vos institutions, de vos places sociales et protocolaires“. C’est d’ailleurs par un décret (toujours en vigueur aujourd’hui) qu’il interdit l’accès aux mosquées aux non-musulmans par volonté de respect de ces lieux de prière. Monarchiste convaincu, il n’en sera pas moins un grand serviteur de l’état républicain.
Son parcours personnel, conventionnel s’il en est, aurait pu façonner une personnalité bien différente, moins perméable à des idées progressistes, voire visionnaires.
Il naît à Nancy en 1854, dans un milieu très bourgeois et aristocratique du côté maternel. Parmi ses ascendants on trouve plusieurs généraux d’empire. La famille part à Dijon où le jeune Hubert passe son bac de philosophie. Elle s’installe ensuite à Versailles. Marqué par la guerre de 1870 et la défaite, il choisit la carrière militaire. De 1873 à 1875, il est élève-officier à l’École de Saint-Cyr.

Hubert Lyautey en 1877
De son grade de Sous-Lieutenant jusqu’à sa promotion en tant que Général de Division en 1907, ses divers commandements à l’étranger l’emmènent en Algérie, en Italie, en Indochine, à Madagascar, outre les postes qu’il occupe dans des villes françaises. De ces années, il reste des “Lettres”, des “Notes”, des “Journaux” et quelques autres écrits. Il fut ainsi élu à l’Académie Française en 1912 et reçu en 1920 après la fin de la Grande Guerre.
L’homme à la moustache proéminente épouse en 1909 Inès de Bourgoing, qui s’avèrera une compagne impliquée et active dans les différents choix de son mari. Même après sa mort, elle œuvrera en faveur des Musulmans de France, voyagera souvent au Maroc où elle fondera des centres d’assistance à l’enfance, des écoles d’infirmières, des orphelinats, des dispensaires…

Inès de Bourgoing 1907
Lyautey arrive à Casablanca le 13 mai 1912 à bord du croiseur le “Jules Ferry”.
L’ homme d’action
Le Maréchal est un touche-à-tout. Son action au Maroc s’établit dans tous les domaines. Il va créer ou renforcer les fondements d’un Royaume chérifien moderne. Administration, juridiction, économie, pouvoir monarchique, santé, éducation, culture, religion, territoire, urbanisme, patrimoine, architecture… Tout l’intéresse, avec le respect des traditions déjà établies.
Il établit Rabat comme capitale du pays en 1914.
Il va notamment créer les zones urbaines modernes dans les villes les plus importantes, Rabat, Casablanca, Marrakech, Agadir, Fès… L’architecte Henri Prost (1874-1959) est souvent son collaborateur direct.
Ainsi, est établie une séparation physique entre de nouveaux secteurs européens, aux plans rationnels, et les médinas anciennes et traditionnelles.

Rabat ville nouvelle
Un zonage est souvent optimisé pour protéger les cœurs historiques des villes. Les populations locales peuvent alors vivre selon leurs modes ancestraux. En revanche, une ségrégation sociale est, de fait, consacrée.
À Marrakech le quartier européen de Guéliz voit le jour.
Le protecteur du patrimoine
Dès l’automne 1912, Maurice Tranchant de Lunel (1869-1932) est nommé par Lyautey Directeur du Service des Antiquités, Beaux-arts et Monuments Historiques et du Service Spécial de l’Architecture. Les deux hommes semblent en parfaite osmose. Dans tout le Maroc les monuments et sites historiques sont classés, restaurés, mis en valeur. À Marrakech, c’est le cas pour les remparts, les rues de la médina, quelques Palais, les Tombeaux Saadiens, la Koutoubia, la Medersa Ben Youssef. À Rabat, la Tour Hassan, la Kasbah des Oudaïas, la médina. A Fès, la médina, les medersas, les universités historiques… Dans chaque ville Lyautey nomme un responsable de ces opérations. Ce sont rarement des fonctionnaires mais des artistes, des architectes ou des “hommes de goût”.

Tombeaux Saadiens Marrakech

Le Maréchal Lyautey, Xavier et Sixte de Bourbon Parme en visite au Palais du Sultan à Fès


Lyautey et le Sultan Moulay Youssef
En 1921, Lyautey est élevé à la dignité de Maréchal de France. Au long de ses années marocaines il a établi ses quartiers dans le Palais Bahia à Marrakech ou dans la Résidence de France inaugurée à Rabat en 1922 en présence du Président de la République Millerand.

Résidence de France Rabat

Palais Bahia Marrakech
En 1925, la rébellion dans le Rif sous domination espagnole, menée par Abd el Krim s’embrase. Un profond désaccord, quant aux moyens et à la stratégie, oppose Le Maréchal Lyautey et Philippe Pétain. Ce dernier le détrône au Maroc et, assisté par un certain colonel espagnol Franco, met fin à la guerre de façon brutale.
Privé de toutes ses prérogatives et de ses pouvoirs militaires Lyautey démissionne et rentre en France définitivement. Des adieux quasi humiliants : Il débarque à Marseille où les honneurs dus à son rang ne lui sont pas rendus.
Une retraite solitaire
Le Maréchal vit désormais dans sa propriété sise à Thorey (devenu depuis Thorey-Lyautey) en Lorraine. Ses dernières années sont quelque peu emplies d’amertume et de nostalgie, comme le montre son salon marocain aménagé dans le château.
Malgré quelques voyages en France, ses activités comme Commissaire Général de l’Exposition Coloniale de 1931 (Palais Musée de la porte Dorée, Paris 12) et Président d’honneur de toutes les fédérations du Scoutisme français (1928), il ne se remet pas vraiment de son retour en France. Dans sa demeure sur ses terres natales, ses souvenirs du Pays du Soleil Couchant qu’il a chéri le poursuivent et s’entremêlent. Certains sont teintés de douceur et de sourires, d’autres de rancœur.

Château de Thorey-Lyautey
En 1926, le Sultan Moulay Youssef lui rend visite. En 1932, son fils le Sultan Mohammed, qui deviendra SM le Roi Mohammed V après l’indépendance, vient également l’honorer de sa visite. Il lui laisse une dédicace amicale: “Souvenir de notre passage à Thorey, à notre grand ami Monsieur le Maréchal Lyautey à qui le Maroc gardera toujours une éternelle reconnaissance pour son œuvre à jamais célèbre. Le 25 août 1932.”
Il rechigne à écrire ses Mémoires mais publie en 1927 “Paroles d’Action” que d’aucuns perçoivent comme un testament spirituel.

Lyautey à Thorey en 1930
Dans l’air
Hubert Lyautey, Maréchal de France décède le 27 juillet 1934.
Le 2 août, ses funérailles nationales se tiennent à Nancy en présence du Président de la République Albert Lebrun. Sa ville de Thorey devient Thorey-Lyautey. En octobre 1935, son inhumation a lieu à Rabat, selon ses vœux. Sa femme rejoindra ce mausolée en 1953. En mai 1961, son corps est rapatrié sous le Dôme des Invalides. Le Général De Gaulle y prononce une éloge funèbre.
La dépouille du Maréchal Lyautey fut donc aussi voyageuse, entre ses terres aimées. Mais comme le disait De Gaulle ” Si noble que puisse être le décor offert finalement à ses cendres, l’esprit et les actes de Lyautey ne sauraient être ensevelis. “
Au gré des biographies sur le personnage, nombre de qualificatifs portent les contradictions de cet homme aux multiples facettes : autoritaire, charmeur, instable, dépressif, mégalomane, mondain, snob, romantique, flamboyant, hâbleur, sincère, franc, direct, charismatique, humaniste, social, ambigu, énigmatique…Beaucoup pour un seul homme ! Sans doute soufflent bien des tempêtes sous ce képi de Maréchal, entre convictions, doutes, vérités et secrets ! Mais cet itinéraire de vie, ce destin insolite pour un officier supérieur de l’armée laissent encore des empreintes de pas bien tracées un siècle plus tard.
Dans les airs du Maroc contemporain une part de l’âme de l’homme Hubert Lyautey vole toujours…