Dans ce dernier épisode, c’est l’histoire d’une famille marocaine que je vais évoquer. Sur trois générations, grand-père, fils et petits-fils, les passions de l’artisanat et du commerce se transmettent. Avec la fierté de participer au rayonnement du pays et de sa culture.
On dirait le Sud
Au commencement de notre histoire il y a le grand-père. Il est issu d’une tribu Amazigh Aït Atta, dans le sud-est du Royaume, dans la montagne Saghro qui culmine à 2712m, Adrar n Saghro. Des paysages grandioses, lunaires, désertiques à perte de vue… Quelques rares petites taches de verdure, de rose et de brun, faites de palmiers, de dattiers, de pêchers, de lauriers, viennent égayer d’immenses étendues terreuses ocre et rouges.

Jbel Saghro
Le noir ce sont les roches qui l’apportent, le blanc les fleurs d’amandier. La vie y est rude mais paisible pour les habitants des villages. Le rythme c’est souvent celui des changements de pâturages pour les chèvres et les moutons.
Les lumières de la ville
L’attrait de la ville se fait sentir pour le jeune homme qui s’installe dans la médina de Marrakech. Il tisse des nattes en raphia. D’objet utilitaire posé au sol, la h’sira devient alors petit à petit un objet décoratif.

H’sira Natte en raphia
L’activité artisanale se développe. Un mariage et cinq enfants plus tard, le petit commerce se porte assez bien pour faire vivre une famille. Mais le malheur frappe! Le papa décède et la maman se retrouve seule à élever ses enfants. Le quatrième fils, encore jeune mais volontaire et tenace va reprendre le flambeau. Dans les années 60, les échanges entre les villes du Maroc s’intensifient, le tourisme se développe et un nouvel élan est donné au commerce.

Les souks de Marrakech années 50
Ce fils se révèle être un vendeur hors pair. Il établit sa situation, se marie et devient lui-même père de six enfants. Il se prend de passion pour les tapis Amazigh et devient un expert, également collectionneur à ses heures. Dans les souks et dans les boutiques de l’époque, on se dispute ses services! Tout se vend, le Maroc et son artisanat ont la cote. Outre les tapis, les articles en cuir, maroquinerie, babouches, dinanderie, textiles doivent répondre à une demande croissante. Il finit bien sûr par ouvrir sa boutique avec un de ses frères.
Ma petite entreprise
Ses enfants, filles et garçons, font de belles études universitaires. Mais la bosse du commerce ne quitte pas si facilement une famille! Le père a aussi transmis son savoir, son intérêt pour l’art du tissage, sa passion des tapis. Il est enthousiaste lorsque deux de ses fils et un ami décident d’inaugurer une galerie dans le quartier de Riad Zitoun Jdid en plein essor touristique à la fin des années 90.

Galerie Dune
Le père agit comme figure tutélaire. Sa présence dans la boutique est une caution de sérieux, de professionnalisme, et ses fils continuent d’apprendre auprès de lui. Ils ont les capacités de développer leur activité à l’international et ne manquent pas de travailler amplement à l’exportation. La Galerie Dune est née, gage de qualité.
Quand le papa décède, il passe à ses deux fils un relais fait de passion, de respect et d’humanité. La collection de tapis certifiés est aujourd’hui impressionnante sans oublier les précieux objets d’antiquités.

Dune Galerie
Je m’entretiens aujourd’hui avec l’un d’eux pour lui poser quelques questions laissées en suspens.
Pourquoi, après tes études, es tu finalement venu vers la vente des tapis ?
Bien sûr mon père m’a transmis son engouement pour l’art du tapis marocain. Je suis donc tombé tout petit dans la marmite! Et le tapis marocain a progressivement gagné une place prépondérante sur le marché international, ce qui pouvait nous permettre avec mon frère d’avoir un peu d’ambition et d’assurer la gestion d’une entreprise très ouverte à l’exportation.

Dune Galerie
Qu’est-ce qui fait, selon toi, la valeur et l’intérêt des tapis marocains berbères?
Le “Handmade” sans hésiter. Que de telles merveilles, de vrais œuvres d’art, pièces uniques, soient créées à la main avec des moyens souvent rudimentaires m’impressionne encore!

Dune Galerie
Quelles sont les nationalités de vos clients les plus fidèles?
Je dirais les français, les anglais, les américains et les australiens qui sont aussi très amateurs de pièces anciennes de plus de 100 ans. Celles-ci deviennent rares mais peuvent encore être collectées dans quelques villages. Il ne faut pas oublier que toutes les femmes tissaient dans toutes les maisons!
Question toujours épineuse: qu’est-ce qui fait le prix d’un tapis?
Il n’y a pas une seule réponse. Outre des critères objectifs comme la dimension, la qualité de la laine, l’authenticité, parfois l’ancienneté, la qualité du tissage, la densité (jusqu’à 250 000 points par mètre carré),…il y a des facteurs plus subjectifs, le décor du tapis, le style, la finesse des broderies, la richesse des motifs et bien sûr le travail des couleurs naturelles qui joue sur tout cela. Les tapis Taznakht, Amazigh, Akhnif, Mrirt sont évidemment gage de qualité, de beauté.

Galerie Dune
Le reste c’est du domaine de l’art et du ressenti, du goût de chacun qui, comme on le sait, ne se discute pas!
Question piège? Quel est ton style préféré?
Oui, question difficile! Dans chaque style, il y a des éléments fascinants. L’univers graphique et les couleurs des Tapis Akhnif me touchent toujours et certains tapis Zemmour. D’une façon générale, le travail méticuleux de la broderie fine me captive. En fait je trouve ça “incroyable” que les tisserandes réalisent de telles merveilles! Il faut voir le recto verso pour justement ne pas en croire ses yeux!

Style Akhnif, Mkhrbak (abstrait) Dune Galerie
Quelle est la part de votre activité “antiquités” dans la galerie?
A peu près 50%. Ce sont essentiellement des poteries, des céramiques du Tafilalet,

Cruche Tafilalet Dune Galerie

Pot Tafilalet (avec attaches de restauration visibles) Dune Galerie
de Tamegroute, de Fès, de Taroudant… Également des coffres en bois du Rif, des portes anciennes , des pièces os et métal de Marrakech et des luminaires en cuivre ou laiton ciselé. Nous avons aussi quelques bijoux anciens.

Dune Galerie
Un petit jeu, si tu veux bien : En un mot, dis-moi ce que chacun de ces styles de tapis évoque en toi.
Beni Ouarain : la chaleur Boujaad: l’âme du tapis marocain Azilal: la naïveté au sens positif Akhnif: le savoir faire Chichaoua : les couleurs de Marrakech Zemmour: la nostalgie Tiflet: Pourraient être encore mieux avec de la soie Zanafi: la perfection de la broderie Tazenakht: l’origine et l’originalité Beni Mrirt: la classe!

Tapis Tiflet (Zemmour) Dune Galerie