JACQUES MAJORELLE, L’INCONNU CELEBRE

Jacques Majorelle riad dar taliwint marrakech

 

« Majorelle »

Oui bien sûr, ce nom vous dit quelque chose, le jardin Majorelle, et puis ce fameux « bleu Majorelle » que vous voyez enfin de vos yeux !

Pourtant, quand on parle de ce jardin, on évoque surtout Yves Saint-Laurent, le célébrissime couturier français mort en 2008, et dont le mémorial s’élève dans un recoin du parc.

Il est vrai qu’ici la réputation du jardin a largement dépassé voire occulté celle de son créateur et propriétaire d’origine. On connaît moins l’artiste Jacques Majorelle (1886-1962) que le jardin ou la couleur bleue éponymes.

Ce peintre ne jouit pas d’une reconnaissance universelle même si son œuvre picturale est considérée par les spécialistes comme tout à fait majeure dans son mouvement artistique :

l’Orientalisme

Si les Européens s’amusent de quelques « turqueries » dès le XVIIe siècle avec le Mamamouchi Monsieur Jourdain, ce n’est qu’avec la campagne d’Egypte napoléonienne et surtout la conquête de l’Algérie vers 1830 que l’Orient devient un thème récurrent dans les arts littéraires ou plastiques.

Pour les artistes cela signifie un renouvellement salutaire des sujets, la découverte de paysages inédits, la vision de scènes de foules grouillantes et colorées, l’attrait de la sensualité libérée et des fantasmes alimentés par les récits des colons, la fascination des déserts, le monde mystérieux du harem…

Techniquement et de façon logique, les couleurs, les perspectives et les matières évoluent et font apparaître une esthétique différente et un nouveau courant artistique très en vogue encore au XXe siècle. Parmi ses représentants illustres citons Eugène Delacroix, Dominique Ingres, Henri Régnault ou Eugène Fromentin.

 

 

Eugène Fromentin orientalisme riad dar taliwint marrakech

 

 

 

 

 

 

Jacques Majorelle, né à Nancy en 1886, est le fils du fameux ébéniste Louis Majorelle, éminent fondateur de l’Ecole de Nancy avec Emile Gallé. « L’Art nouveau » et les milieux artistiques n’ont donc pas de secrets pour lui. Il entreprend des études d’architecture mais c’est la peinture qu’il choisira comme mode d’expression.

Ses voyages restent indissociables de son œuvre picturale.

Espagne, Italie, Venise puis en 1910, il découvre l’Egypte, y séjourne quelques années puis arrive au Maroc en 1917.

Un coup de foudre pour Marrakech le décide à s’y établir définitivement avec sa femme.

A partir de 1921, il explore, voyage à travers le pays, notamment le sud, il photographie, il écrit :

«  Montagnes de plus en plus sauvages. Paysage minéral rompu aux environs des villages par des bouquets d’amandiers. Ces fleurs dans ce désert ! Quelle étrange vision. De loin les arbres semblent poudrés ou givrés. On circule dans l’ombre des fleurs qui effeuillent leurs pétales de nacre aux cailloux du chemin. Je traverse une succession de cirques dont les crêtes fantasques semblent dessinées par un alcoolique. »

 

Jacques-MAJORELLE-Ouarzazate-riad dar taliwint marrakech

Il observe :

« Quelles scènes admirables que cette populace multicolore, groupée sur la place, dans les rues et les cours des maisons, sur les escaliers et sur les terrasses. Les femmes vêtues d’amples costumes d’un blanc impeccable, et coiffées de foulards aux couleurs hurlantes, se meuvent comme des marionnettes, devant l’obscure tonalité des maisons et des montagnes. Le ciel est d’un violet rougissant, et la seule lumière de ce tableau émane de ces blanches personnes… »

 

Il peint.

Il rassemble donc suffisamment de matière pour publier des récits de voyage sous le titre « carnet de route d’un peintre dans l’Atlas et l’Anti-Atlas » et une série de peintures exposées à Paris en 1922 et à Casablanca en 1929. A partir de 1930, il s’attache à développer un nouveau thème, celui des nus de femmes africaines, exposés à Paris en 1934. Après la deuxième guerre mondiale, il parcourt aussi l’Afrique noire, et en fait un autre sujet de prédilection.

En tant que décorateur, il trouve son langage personnel hérité de son père mais marqué par la grammaire formelle des cultures berbères.

Il ouvre à Marrakech des ateliers de fabrication de pièces d’artisanat utilisant différents matériaux et s’attèle à différents projets pour l’hôtel La Mamounia, le hall de la section Maroc à l’Exposition des Arts Décoratifs de Paris 1925 et sa villa Bou Saf Saf, commencée en 1923 sur un terrain qu’il venait alors d’acquérir et qui s’agrandira progressivement.

Le pavillon-atelier de l’artiste sera achevé en 1933 avec la collaboration de l’architecte Paul Sinoir.

 

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La botanique

Jacques Majorelle se passionne pour cette science.

Son œuvre maîtresse va se révéler dans le jardin même de la propriété.

Quelque peu visionnaire, il clame « Ce jardin est une tâche terrible, à laquelle je me donne tout entier. Il me prendra mes dernières années et je tomberai épuisé, sous ses branches après lui avoir donné tout mon amour. »

Il va collecter et importer des arbres et des plantes du monde entier. Puis il va composer son plus grand tableau au fil du temps.

Il harmonise et met en lumière et en ombres ses palmiers, bambous, hibiscus, cyprès, géraniums, saules, daturas, lauriers, bougainvilliers, caroubiers, agaves, jasmins, et nymphéas… et mille cactées, il dessine les parterres et les allées, puis il crée les contrastes avec ce bleu cobalt si intense que l’on nommera le bleu Majorelle.

Mais la danseuse coûte cher ! En 1947, le jardin est ouvert au public, moyennant un droit d’entrée.

Les aléas d’une vie d’artiste, les difficultés financières, un divorce, de graves accidents auront raison de la propriété (qui se trouve vendue en partie) et de l’homme qui meurt à Paris en 1962. Il repose depuis à Nancy, près de son père.

A l’état d’abandon, les saules pleurent vraiment car le jardin se meurt aussi.

De rares âmes viennent s’y promener.

C’est ainsi que le découvrent Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé et qu’ils l’achètent avec la maison en 1980, le sauvant in extremis d’une disparition définitive prévue dans le cadre d’un projet hôtelier.

Et ceci marque le début d’une belle renaissance pour le jardin extraordinaire. Déjà une autre histoire commence, une autre croisée des chemins et des destins…

Le jardin Majorelle

Le contraste est saisissant. Dès que l’on franchit la grille du jardin, on laisse derrière soi la rumeur chaotique de la ville. Un grand silence frappe d’emblée le visiteur. Seuls quelques pépiements d’oiseaux et les doux clapotis de l’eau bercent les lieux, en pointillés.

L’endroit est imprégné de ce calme qui s’impose à chacun et qui est respecté naturellement.

Les groupes de  touristes déambulent lentement et s’ils parlent, c’est à voix basse.

Les enfants, qui pourraient être tentés de s’égayer en courant dans les allées semblent être saisis par le même charme envoûtant.

Cette symphonie verte et bleue enveloppe et son chant semble résonner en distillant de l’apaisement dans les âmes.

 

Jardin Majorelle riad dar taliwint marrakech